Certains d’entre vous connaissent sans doute ce somptueux palais de la casbah d’Alger. Mais très peu savent la tragique histoire qui se cache derrière un nom iconique. Alors qui était Aziza Bent el Bey, et quels secrets se cachent derrière les portes de la magnifique bâtisse ?
Située en face de la célèbre mosquée Ketchaoua dans la basse Casbah, cette demeure ottomane, est l’un des rares édifices du grand ensemble de la Jénina à avoir survécu à l’incendie de 1844 et à la destruction du quartier par les français en 1856. Le palais de la Jénina, aussi appelée « Dar soltan el-kadîma », aurait été en premier lieu la résidence officielle du roi berbère Selim Etoumi avant d’être la résidence des frères Barberousse, devenu sultans d’Alger après la prise de la ville et l’assassinat de Selim Etoumi.
Centre névralgique de la Régence jusqu’en 1817 ; date à laquelle l’avant dernier dey d’Alger, Ali Khodja, craignant pour sa vie quitta la Jénina pour établir le centre du pourvoir en haut de la ville dans la Citadelle ; ce vaste ensemble d’édifices était dominé par une haute bâtisse de trois étages qui constituait le palais, avec des annexes attenantes, plus basses, dont dar Aziza.
Pourtant, il demeure des questions et incertitude face à l’année de réalisation du palais…
Longtemps considéré comme le joyau de la Jénina, ce dernier témoin daterait selon certains historiens et architectes, de la régence ottomane. Cependant, ce palais est peut-être beaucoup plus ancien qu’on ne le pense car selon l’archéologue français Lucien Golvin, nous le retrouvons sur des plans antérieurs à cette période, et qui remonteraient au tout début du XVI e siècle, ce qui rend son origine berbère.
Nous savons aussi, d’après les écrits de l’historien Belkacem Babaci, qu’à leur arrivée à Alger les frères Baberousse furent reçus avec faste et logés dans une partie du magnifique palais de la Jénina qui serait l’actuel Dar Aziza, avant son embellissement par un bey de Constantine beaucoup plus tard et sa possession par femme qui lui donnera son nom, la tristement célèbre Aziza.
Mais d’où lui vient ce nom ? Et à quoi ce palais était-il dédié ?
La tradition algéroise affirme que Aziza, qui a donné son nom au palais, serait la fille d’un dey à qui son père aurait offert ce palais, à l’occasion de son mariage avec un Bey de Constantine. L’identité de ces personnages n’a pas été clairement établie, différents historiens et différentes études se contredisent.
Henri Klein – auteur des « Feuillets d’El Djazair » et Secrétaire général du Comité du vieil Alger – affirme que le palais fut construit par un bey de Constantine pour sa femme nommée Aziza. L’historien G. Esquer, penche pour un certain Redjeb qui fut bey de Constantine sous le règne du dey Hadj Mehmet et qui aurait dédié la demeure à son épouse.
Ce que l’on sait de source sûre c’est qu’à l’époque de la Régence il servait de résidence aux gouverneurs d’Alger, aux dignitaires étrangers de passage ainsi qu’aux Beys de Constantine et de Titteri lorsqu’ils venaient à Alger payer l’impôt annuel. Il faisait donc fonction de maison d’hôtes pour les visiteurs de Dar Essoltan.
En 1830 Klein rapporte que « Dar Aziza Bey fut trouvé bondé de laine. Il recélait également un lot considérable de meubles de prix, de vêtements de luxe et d’argenterie, évalué (…) à un demi-million, et qui (…) aurait nécessité un déménagement de huit jours ». C’est dire l’importance de ce palais.
Après la prise d’Alger, le palais fut habité par un colonel et demeura aux mains de l’autorité militaire jusqu’en 1839 date à laquelle il est affectée à l’église qui le transforme en archevêché où résidèrent les prélats dont Lavigerie. Menacée plusieurs fois de destruction Dar Aziza fut classé au nombre des monuments historiques le 4 avril 1887 grâce aux protestations de Berbrugger, éminent conservateur de la bibliothèque d’Alger, et à l’intervention de la Société historique algérienne qui s’attèle à l’exploration et à la découverte de sites antiques de l’Algérie.
Après 1962, Dar Aziza abrite tour à tour le siège du ministère du Tourisme (1965), l’Agence algérienne du tourisme (1969), la revue Al takafa (1987), puis l’Agence nationale d’archéologie et protection des monuments et sites historiques (1990). De nos jours, le bâtiment abrite l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés et n’est pas ouvert au public, mais selon l’humeur du gardien, on peut découvrir sa cour.
Quoi qu’il en soit, l’Histoire de ce palais aussi riche soit-elle, retiendra un seul nom : celui de Aziza, dont histoire entre mythes et réalité, deviendra légendaire.
Mais que masquent les murs de ce somptueux palais, derrière une histoire enjolivée par le récit populaire ? Voici l’histoire déchirante et méconnue de AZIZA BEY :
Selon un manuscrit de Vayssettes, instituteur et interprète-traducteur ayant accompli toute sa carrière en Algérie pendant la période coloniale, AZIZA, femme d’une rare beauté, était la fille du Caïd Ahmed Ben Ramdane et sœur de Chalebi Ben Ali Bitchine. Elle épousa en premières noces, Mohammed BEN FERHAT, Bey de Constantine. Après le décès de ce dernier, conformément à un usage répandu, son frère RADJEB, qui a succédé en tant que Bey à son défunt frère, l’a pris pour épouse. Très épris d’elle, il l’emmena à Alger où le mariage fut célébré, après la période obligatoire de retraite de continence (’iida), en grandes pompes. Pour elle, il fit construire un palais qui allait, par la suite, devenir la résidence secondaire des beys de Constantine quand ils se rendaient à Alger pour verser l’impôt collecté.
Après les noces, Radjeb se rend à Constantine avec sa belle épousée pour prendre le commandement de la province de l’Est. Pendant des années ils filèrent le parfait amour, du moins en apparence… Car RADJEB BEY, comme c’est souvent le cas des amours passion, éprouvait intérieurement de vives souffrances, torturé par une terrible jalousie.
AZIZA, était réputée, non seulement pour sa beauté et son élégance, mais également pour sa gentillesse et sa bonté envers tout son entourage. Lentement, dans l’esprit perturbé de RADJEB BEY, commencera, alors à germer l’idée de la tuer. La mort passion remplacera, désormais, l’amour passion.
Le moment fatidique où devait s’accomplir le drame qui rompit, d’une manière si inattendue, une union jusque-là sans nuages arriva. C’était un dimanche, 4 novembre 1668, RADJEB BEY, de plus en plus rongé par cette jalousie, tournée maintenant en haine inapaisable, décida enfin de mettre à exécution son perfide projet. Il proposa à sa douce femme de visiter le « Moulin à Poudre » qu’il venait récemment de faire construire au Hamma Bouziane (environs de Constantine). Il ne l’accompagna pas, mais la fit suivre de ses dames de compagnie, des esclaves de sa maison, de Safia, une autre épouse du Bey et de sa belle-fille Fatma Bent Ferhat.
Après avoir visité le nouvel établissement, elles allèrent ensemble au magnifique jardin dit « Haad el Ancel », où elles devaient passer la nuit. Ne se doutant nullement du sort funeste qui l’attendait, le reste de la journée fut consacré aux divertissements et à la nuit tombée elle se retira sous sa tente. Rien ne vint interrompre son repos jusqu’au moment où brilla l’étoile du matin. AZIZA, qui était plongée dans un profond sommeil était désormais, une proie facile… Aux premières lueurs du crépuscule un inquiétant personnage pénètre sous la tente de la belle endormie. Cet individu était Ben Cherdad, le serviteur, l’âme damnée, de RADJEB BEY. Silencieusement il s’approcha du lit de Aziza et exécuteur impassible des ordres de son maître, il l’égorgea froidement et par neuf fois, lui plongea la lame de son sabre dans les entrailles.
Triste et pénible fin pour cette malheureuse femme… Les funérailles de l’infortunée princesse eurent lieu le lendemain. Éploré ou feignant d’éprouver une immense douleur, RADJEB BEY, éleva à sa mémoire, un tombeau dont l’emplacement n’a, à ce jour, pas été identifié.
Légende ou histoire authentifiée, certains habitants de la Casbah, dont les demeures sont mitoyennes au palais, disent entendre les larmes de la malheureuse, les soirs ou la nuit se fait plus épaisse que les autres…
Rym Maiz
Références :
Eugène Vayssettes, Histoire de Constantine sous la domination turque de 1517 à 1837, France, Bouchène
Klein Henri, Feuillets d’El Djazaïr, Alger, Klein Henri, Feuillets d’El Djazaïr, Alger
Hamdan Ben Othmane Khodja, Miroir, Aperçu historique sur la régence d’Alger
Lucien Golvin, Palais et demeures d’Alger à la période ottomane