Extrait revue Babzman (4) – Les vestiges préhistoriques du Tanezrouft

Traversée par la piste transsaharienne n° 2, reliant ainsi le nord du Mali au sud de l’Algérie ; le Tanezrouft, le plus aride des déserts sahariens, se dresse tel un mur entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. Limitrophe de l’Ahagar (sud-ouest de l’Algérie), de Walatah, Chinguetti et Ouadâne (sud-est de la Mauritanie) et l’Adrar des Ifoghas (nord du Mali),il demeure très peu parcouru en raison de son extrême aridité et l’absence de végétation et reliefs. Il demeure néanmoins un passage incontournable pour les caravanes de l’axe Ahagar-Adrar d’Ifoghas, qui arpentent les pistes et balises mises en place par l’armée française et qui constituent des points de repères baptisés :Poste Weygnad, Bidon V,Bordj Le Prieur (actuel Bordj Badji Mokhtar) et Tessalit.

Cette vaste terre nue n’a pas toujours été dépeuplée, les vestiges archéologiques préhistoriques attestent d’une vie prospère, à l’image de la savane de l’Afrique orientale de climat tropical, celle-ci aurait-elle été repoussée ?

Le peuplement de l’Afrique du Nord…nos aïeux et leurs legs

Nous ne pouvons étudier les vestiges archéologiques préhistoriques de l’Afrique du Nord, de la partie occidentale méridionale (Algérie, Mali, Mauritanie) sans formuler des hypothèses de sens sur les populations qui nous ont laissé ce legs. Elles demeurent un mystère car les données sur les éléments ostéologiques manquent de précisions en raison de la vaste période de transition du champ d’étude abordé.

Henri Lhote, correspondant et membre du chantier intellectuel du Musée de l’Homme (Section d’ethnographie), dont le domaine de recherche fut les sites rupestres préhistoriques du Fezzan, du Tassili, le Hoggar et l’Adrar mauritanien, note: «Les incertitudes d’attribution qui règnent encore doivent conseiller la prudence, tant que d’autres foyers, incontestablement en relation avec ces groupes de peintures ne viendront les confirmer.» Il fait référence en évoquant les gravures rupestres du Tassili à de «petits personnages schématiques à la tête ronde» pour qualifier les premiers peuplements du Sahara du type soudanais qui seraient apparus au début du paléolithique inférieur, dit l’acheuléen.

Les gravures rupestres dont il est question se superposent, formant un palimpseste d’informations qui nous renseignent sur la vaste période préhistorique de la région que Lhote répertorie comme suit : la fin du paléolithique, c’est-à-dire six ou sept mille ans avant notre ère. Le Néolithique, quatre mille ans av. J.-C.

L’archéologue Annabelle Gallin distingue le groupe humain des Sapiens mechtoides du type ibéro-maurisien à la fin de la cette période : «Le Néolithique final, durant les IIIe et IIe millénaires avant notre ère, est une période charnière pour le peuplement du Sahara et du Sahel en Afrique de l’Ouest. C’est, en effet, à cette époque que se produisent l’investissement de la zone sahélienne par les populations néolithiques, la mise en place des conditions climatiques actuelles et l’apparition de nouvelles pratiques économiques, précise-t-elle.

Vers 1200 av. J.-C. s’ensuit l’ère de l’Histoire marquée par l’arrivée des chars Garamantes et des nomades touaregs. A la lumières de ces données, il est plausible que le Tanezrouft avant sa désertification fut sans doute peuplé par les mêmes populations des régions limitrophes.

Un musée recelé

Les vestiges préhistoriques du Tanezrouft demeurent méconnus et peu explorés jusqu’au début du XXe siècle. Quelques sites ont été signalés dès 1914 et ce de manière fortuite par des chasseurs de trésors et aventuriers occidentaux ainsi que des militaires de La Compagnie saharienne de l’armée française.

C’est incontestablement grâce aux travaux de recherches de l’explorateur et naturaliste Théodore Monod, célèbre pour sa traversée, en 1936,du Tanezrouft à pied, que le voile est levé sur cette partie de l’Afrique, notamment avec la création, en 1941,de la Section archéologie-histoire de I’IFAN, sous la direction d’Henri Bessac et Raymond Mauny. En somme, plus de 23 stations de la période paléolithique et néolithique ont été répertoriées en Algérie et au Mali entre 1958 et 1961.Citons parmi elles : la station d’InIllel à 80 km à l’est de Bordj Bordj Badji Mokhtar sur la route caravanière Kidal-Aoulef; la station de l’Oued Chet Iler, celle de Timéaouine et de Tcherchoucheri.

Les vestiges trouvés attestent d’une organisation sociale hautement évoluée ; en démontre un inventaire non exhaustif, précisent les chercheurs, en raison de la forte action éolienne qui rend difficiles les fouilles. Les sites sont principalement des stations d’habitat, où l’on trouve des grattoirs en silex ainsi que la céramique, du matériel de broyage : des pilons, des haches polies ainsi que des burins.

On note la présence de trois nécropoles qui ont été signalées : la Nécropole de la frontière, la Nécropole de Bordj Le Prieur et la Nécropole du Reg Zaki. Les squelettes exhumés ont été retrouvés, mis en position décubitus latéral droit contracté, c’est-à-dire allongés à l’horizontale, sur le côté droit, légèrement courbés.

La présence de cendre atteste d’un éventuel feu rituel réservé à une caste de haut rang car il s’agit de dit «restes nobles» car, en effet, les squelettes sont ornés de haches polies et de la céramique neuve. Cela rappelle des rituels funéraires chez les pharaons d’Egypte.

Le Sahara n’a pas encore livré tous ses mystères. Il ne fut pas toujours ainsi : une immense terre de désolation et de vide. Il a observé depuis les temps préhistoriques plusieurs phases climatiques, ponctuées de périodes de désertification et d’humidification qui ont façonné ses contours, ont fait émerger de nombreuses civilisations au gré du «stress hydrique» qui fut à l’origine des mouvements migratoires. Il fut vert et verdoyant, doté d’une végétation abondante et une terre accueillante pour les hippopotames, les crocodiles et les antilopes.

L’utopie du retour de la savane dans les zones sahariennes est une hypothèse soutenue parle climatologue Stefan Kröpelin, expert des zones sahélo-sahariennes, qui observa des changements climatiques au Darfour, le nord du Mali et du Niger et au sud de l’Algérie. Quoi de plus étonnant que de voir la neige à des régions semi-désertiques telles que Béchar, Nâama, Aïn Safra et El-Bayad, conséquence directe d’un dérèglement climatique qui risque de reverdir le désert. L’homme aussi tient un rôle à jouer dans cette partition. Yacouba Swadogo est le paysan burkinabé surnommé «l’Homme qui a arrêté le désert», devenu l’ambassadeur de l’association d’agrologie Terre et Humanisme pour avoir réussi le pari fou de repousser la désertification de son village, en replantant des arbres, dans l’un des plus arides déserts du Sahel.

Leila A.

Sources

  1. Annabelle Gallin, Le Peuplement sahélien en Afrique de l’Ouest à la fin du Néolithique. Les nouvelles de l’archéologie [En ligne], 120-121 | 2010, mis en ligne le 30 septembre 2013, consulté le 20 février 2017. URL : http://nda.revues.org/994 ; DOI : 10.4000/nda.994
  2. Edmond Bernus, Les Causes de la désertification:
  3. Les Thèses en présence, Bulletin de la Société languedocienne de géographie, tome 18. Fascicule 3-4, Montpellier. 1984.
  • François Michel, Le Dico des mots de la géologieSur un projet de la commission Patrimoine géologique de Réserves Naturelles de France, 2016.
  • H. Lhote, Histoire primitive de l’Humanité. Evolution du monde noir. Bull. IFAN, t. XXIV, série B, n° 3-4, 1962, p. 484. 2. Métallurgie traditionnelle et âge du fer en Afrique. Bull. IFAN, t.XXX, série B, n° i, 1968, p. 28, note 4.
  • H. Lhote-J. de la Soc. des Africanistes XL, 2, 1970, pp. 91-102.Le Peuplement du Sahara néolithique, d’après l’interprétation des gravures et des peintures rupestres.
  • Jean Maley and Robert Vernet, Peuples et Evolution climatique en Afrique nord-tropicale, de la fin du Néolithique à l’aube de l’époque moderne, Afriques [Online], 04 | 2013, Online since 23 May 2013, connection on 28 February 2017. URL : http://afriques.revues.org/1209 ; DOI : 10.4000/afriques.1209.

8.      O. Dutour, L’Homme de Taforalt au Sahara, ou le problème de l’extension saharienne des Cromagnoïdes du MaghrebBulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, année 1988,volume 5,n° 4.

  • Raulin H., Histoire de la recherche agricole en Afrique tropicale francophone, 1984. Techniques agraires et instruments aratoires au sud du Sahara. ORSTOM.
  • T. Dzierzykray-Rogalski- A propos de la momification naturelle des dépouilles humaines en Egypte, Paléobios 1900, vol. 6, n° 23, Lyon, France, ISSN 0294 121 X.

11.  Yacouba Sawadogo, L’Homme qui a arrêté le désert, Les gens pensaient que j’étais fou.© Copyright 2015 – Panafricain TV, Alchimist Corp.

  1. news.nationalgeographic.com/news/2009/07/090731-green-sahara.html

  2. http://www.lefigaro.fr/sciences/2008/05/13/01008-20080513ARTFIG00576-comment-le-sahara-est-devenu-un-desert.php

14.   www.jeuneafrique.com/396968/societe/algerie-a-neige-sahara/

Image : Tanezrouft desert

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