Au Grand Maghreb, l’arabe classique demeure la langue officielle, l’apanage des érudits et des agents religieux. Cela vient du fait de la légitimité théologique de cette langue, par ailleurs hautement politisée.
Langue de la sacralité, elle jouit d’un statut immuable, cependant, elle n’a pu être assimilée à une langue maternelle vernaculaire usitée dans le quotidien des populations locales. El hassanya étant la plus proche phonétiquement (que les autres dialectes) de l’arabe classique, elle dispose d’un statut privilégié dans les zones, ou elle est utilisée.
El hassaniya de nos jours
A propos des spécificités du hassaniya chez la tribu maure des Reguibets l’Gouacem, le chercheur et journaliste Attilio Gaudio observe les faits suivants : « Les particularités les plus saillantes appartiennent au domaine de la phonétique; c’est en différenciant particulièrement le son de la lettre kaf — qui fait [gaf] — et celui de la ta qui le rend emphatique. » Cependant , il est aussi à noter que les langues vivantes sont par essence vouées à l’évolution.
Aux grès des interactions et brassages culturels, el hassaniya d’hier à aujourd’hui, tout en gardant sa structure phonétique, ne cesse d’assimiler les patois et langues avec lesquels elle est en contact; tel que lezenaga (langue berbère de Mauritanie), ainsi que le wolof soninké.
Voici quelques exemples des apports des autres langues se trouvant dans l’univers des griots maures, une caste de musiciens dont le langage est fortement imprégné du berbère sahraoui : iggîu : griot, tidînît : luth, ardîn : harpe, azâwân.
A l’instar de la darja algérienne, l’apport du français dans la hassaniya des maures de Tindouf ainsi que l’espagnole avec l’arrivée des réfugiés du Sahara occidental accentue ce phénomène de brassage sociolinguistique. Ce phénomène nous permet d’aborder le fait linguistique comme étant un patrimoine vernaculaire immatériel en mouvance, qui véhicule une Histoire à préserver; ce qui devrai être au cœur des préoccupations et la responsabilité des agents culturels.
Par ailleurs, «l’Atlas des langues en danger dans le monde» de l’Unesco pointe l’index sur treize langues en péril en Algérie, citons : Le korendjé de Tabelbala, le tagargrant, le amazigh de Ouargla. -Le snoussi (tasnusit), dans les montagnes de Beni Snous (les amazigh de l’Oranie), Le zenatiya de l’Ouarsenis dans l’actuelle wilaya de Tissemsilt.
La préservation de ces langues renvoie à la question essentielle qui est l’identité antique et plurielle de l’Algérie.
Leila A
Sources :
- Vergniot olivierTindouf, un point d’équivoque (1912-1934).
- In: Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, N°41-42, 1986. pp. 119-135.
- Attilio Gaudio L’odyssée de l’Homme en marche Voyage anthropologique
- -Connaissances actuelles et méthodes de recherche , 2004
- Halaoui, Nazam. 1997. Langue dominante, langue rejetée : le hassanya en Mauritanie. DiversCité Langues. En ligne. Vol. I.
- TAINE-CHEIKH, Catherine (1978), Bibliographie linguistique sur le hassaniya, dans Barreteau Daniel Inventaire des études linguistiques sur les pays d’Afrique noire d’expression française et sur Madagascar, Paris, CILF, p. 263-278.
- Michel Guignard , Les griots maures et leur musique : origine et évolutions contemporaines , Conference on Music in the world of Islam. Assilah, 2007.
- https://www.unesco.org/languages-atlas/index.php?hl=fr&page=atlasmap
- © Jonathan Blair/ National Geographic,November 1967.