Les années passèrent et Aziz, devenu un beau et robuste jeune homme, se prit à aimer passionnément la chasse. Dès le matin il montait sur son cheval blanc, et partait, laissant à la maison Aziza, dont la beauté était devenue objet de toutes les conversations. Ceux qui les avaient connus misérables se demandaient d’où leur venait toute cette fortune et, secrètement, les enviaient.
De tous les habitants de la ville, celle qui jalousait le plus leur bonheur était une vieille sorcière au corps tout osseux, au cœur noir. Un jour qu’Aziz était à la chasse, elle vint trouver Aziza :
-« Je viens m’enquérir de ta santé, lui dit-elle. »
-« Elle est bonne, je te remercie. »
-« Car pour le bonheur, dit la sorcière, je sais que le tien est grand. »
-« Dieu merci, dit la fille. »
-« Il serait même entier s’il ne te manquait une chose. »
-« il me manque une chose ? demanda la jeune fille, et laquelle ? »
-« Elle est difficile à acquérir, dit perfidement la vieille femme. »
-« Qu’importe ? dis-la-moi. »
-« Mais, auparavant, dis-moi : ton frère t’aime-t-il ? »
-« Tout ce que je lui demande, il me le procure. »
-« Alors, si ton frère t’aime, dis lui de t’apporter du lait de lionne dans la peau d’un de ses petits. Tu t’en laveras et ton teint deviendra brillant comme neige. On parle déjà de toi dans tout le pays. Quand tu te seras lavée avec du lait de lionne, les princes les plus lointains viendront te demander en mariage. »
Quand Aziz rentra, il trouva sa sœur toute triste.
-« Es-tu malade ? lui demanda-t-il. »
-« Non. »
-« Pourquoi es-tu triste ? »
-« Mon frère, dit-elle, si tu m’aimes, apportes-moi du lait de lionne dans la peau d’un de ses petits. »
Etonné d’une demande aussi étrange, le jeune homme alla trouver le sage de la ville, pour lui demander conseil.
-« Mon fils, une méchante sorcière est entrée dans ta maison. Mais prend huit moutons et va ! Marche dans la forêt jusqu’à ce que tu rencontre l’antre de la lionne : tu y verras ses sept lionceaux. Quand la lionne rentrera, elle dira : si celui qui a traité ainsi mes enfants se montre, je lui accorderai tout ce qu’il me demandera. Alors montre-toi, jette-lui le huitième mouton et demande-lui ce que tu veux. »
Le jeune homme fit comme le vieux sage avait dit. Il se rendit dans la forêt avec huit moutons, trouva l’antre de la lionne, y vit sept lionceaux, jeta à chacun un mouton et attendit.
La lionne ne tarda pas à paraitre. Dès qu’elle arriva, elle vit les restes du festin que ses enfants venaient de faire, regarda partout autour d’elle et, ne voyant personne, dit à ses petits :
-« Si celui qui vous a ainsi rassasiés se montre, je fais vœu devant Dieu de lui accorder tout ce qu’il demandera, fût-ce le lait de mes mamelles ou un de vous. »
De l’anfractuosité où il se tenait caché, Aziz aussitôt sauta au milieu de l’antre :
-« C’est moi dit-il. »
En même temps il jeta le dernier mouton devant la lionne qui, affamée, se jeta dessus et en un instant le dévora. Quand elle eut fini, elle se tourna vers Aziz :
-« Que désire-tu ? »
-« Du lait de tes mamelles. »
-« Tu l’auras. »
-« Dans la peau d’un de tes petits, continua Aziz. »
La lionne poussa un rugissement, qui ébranla l’antre et fut entendu dans toute la forêt.
-« Si je ne t’avais pas fait le serment par Dieu, je vous aurais dévorés, toi et les hommes du pays où tu vis. Mais maintenant il est trop tard. Alors éloigne-toi. Prends un des lionceaux et va très loin. Quand tu voudras t’arrêter, pousse plus loin encore car, quand tu tueras mon petit, si un seul de ses cris me parvient, je te mangerai et mangerai tous les hommes du pays où tu vis. Quand tu reviendras, tu trairas mon lait par derrière, pour que je ne voie pas la peau de mon petit. Alors je rugirais trois fois. Au troisième rugissement, si je te trouve encore devant moi, je te dévorerai. »
Aziz emporta le lionceau, le tua, le dépeça, revint avec sa peau et commença à traire du lait de la lionne par derrière. Elle rugit une fois… deux fois… A la troisième elle se retourna, elle allait d’un coups de sa patte mettre en morceau le jeune homme et le dévorer. Il eut juste le temps de sauter sur son cheval et de partir au galop.
Arrivé à la ville, il donna le lait de lionne à Aziza, qui s’en lava et s’en trouva plus belle.
La sorcière, qui attendait impatiemment le résultat de l’expédition, ne tarda pas à reparaitre :
-« Je sui venue prendre de tes nouvelles, dit-elle à Aziza. »
-« Mon frère m’a apporté le lait, dit Aziza. »
-« Comment ? s’écria la sorcière. Il est revenu ? »
Aziza exhiba la petite outre gonflée du lait de la lionne. La sorcière était à la fois stupéfaite et furieuse, mais elle ne voulut pas laisser paraitre son dépit.
-« Tu as le meilleur des frères, dit-elle. Je suis sûr que, si tu lui demandais les choses les plus précieuses, il te les ramènerait, fût-ce les perles enchâssées. »… A SUIVRE
Source : Contes berbères de Kabylie – Mouloud Mammeri