Conte – La leçon à l’héritier

On raconte qu’autrefois, dans un pays lointain, un riche négociant avait amassé une fortune colossale qui fit sa renommée. Il était aussi connu pour sa immense sagesse.

Sentant sa mort prochaine,, il fit venir son unique enfant pour les ultimes recommandations. Il voulait pour une dernière fois, enseigner à son héritier le sens des réalités, car dans la vie on se fie souvent aux apparences qui sont, comme tout le monde le sait, trompeuses.

-« Mon fils, lui dit-il, je sens ma mort très proche. Je t’ai fait venir pour te dire trois recommandations. Tu dois me jurer de les appliquer dès que tu m’aura enterré. »

-« Je t’en fais le serment mon père ! répondis le fils. »

-« La première des recommandations est de ne te rendre dans une khamara (taverne) qu’à une heure avancé de la nuit, la seconde est de jouer de grosses sommes mais seulement avec le plus grands des kamardji du monde entier. »

-« Et la troisième, père, c’est quoi ? »

-« La troisième, mon fils, c’est de rendre visite à une femme à la fin de la nuit. Voila je t’ai tout dit ! Souvient-toi bien de cela et applique à la lettre ces trois conseils, si tu veux que j’aie la paix dans l’autre monde. »

-« Je le ferai, père ! »

Le père mort et enterré, le fils resté seul, pensa à la promesse faite au défunt sur son lit de mort.

-« Je vais commencer dès aujourd’hui, se dit l’héritier. Ce soir même, je me rendrai à la taverne pour y boire jusqu’à l’ivresse. »

Le jeune homme attendit minuit et de rendit dans une des tavernes de la ville. Dès l’entrée, il fut accueilli par une odeur âcre de khamr, d’urine et de vomi. Il découvrit la déchéance de tous ceux qu’il connaissait. Il se dit :

-« Jamais je ne serai dans cet état ! Jamais je ne fréquenterai une taverne et jamais je ne consommerai du kohol. »

Quelques jours plus tard, le jeune homme appliqua la deuxième recommandation. Il lança un appel de par le monde pour rencontrer le plus grand kamardji du siècle. L’enjeu était énorme. Il ne tarda pas à recevoir le joueur le plus redoutable de la planète. Il se présenta à lui dans un dénuement à faire pitié.

-« Je suis imbattable au jeu. Tu m’as défié. Me voici ! « 

-« As-tu gagné de grosses sommes par le passé ? lui demanda l’héritier. »

-« Oui ! Des sommes fabuleuses ! Un trésor à faire rougir d’envie les plus gros négociants et les rois les plus riches. »

-« Qu’as-tu fait de tout cet argent ? En as-tu profité ? »

-« Non, pas vraiment ! C’est l’argent du jeu, il repart dans le jeu ! C’est ainsi. « 

-« Merci pour la leçon, lui dit le jeune homme, pour rien au monde, je ne veux te ressembler ! Considère la partie annulée. »

-« Alors, s’il te plait donne-moi un peu d’argent juste de quoi manger ! « 

L »héritier appréciait les enseignements de son père à leur juste valeur et le remerciait. Comme il lui restait une dernière recommandation a vérifier, il alla dans un lieu de débauche et choisit la plus belle fille de joie qui était d’ailleurs très courtisée. Il lui demanda de l’attendre chez elle, loin de toute la luxure ambiante.

Elle l’attendit toute la nuit, puis lasse, elle se mit au lit et s’endormit. Au petit matin, l’héritier lui rendit visite. Lorsqu’elle lui ouvrit la porte, il poussa un cri d’épouvante. La fille de la nuit lumineuse sous ses paillettes et ses fards, lui parut dans sa nature fanée, ravagée. Rien d’attrayant dans ce qu’elle lui offrait. Il s’excusa et partit sans se retourner.

-« Mon père est un sage qui connait bien la vie. Les apparences sont trompeuses et tendent des pièges aux ingénus. Jamais l’héritage que mon père m’a laissé n’ira dans la luxure, la débauche et le jeu, jamais je ne me détruirai comme l’ont fait d’autres non avertis. »

Il fit une grande offrande à la mémoire de son père et pria pour qu’il reposât en paix.

 

Source : Conte du terroir algérien – Editions Dalimen

Image : Ravel Edouard John E. (1847-1920) Scène de taverne

 

 

 

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